mercredi 12 novembre 2008

Mercredi 12 Novembre 2008. 20H42

Je dépose des textes dans des "forums poétiques", où des "commentateurs" me répondent, par des commentaires , souvent élogieux, quelquefois désobligeants : ces derniers m'attristent ; je n'ai pas la force de devenir l'homme selon Kipling :
"Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux, pour exciter des sots..."
Vous pensez peut-être, lecteur bénévole : " que diable allait-il faire dans cette galère ?", et vous n'avez pas tort.
Ce qui me pose problème, c'est l'anonymat de mes détracteurs : rien ne m'est plus odieux qu'une lettre anonyme . Le code de l'honneur, en ce début du XXI° siècle, est, décidément, mal en point.
Et puis l'admiration, ces jours-ci, d'une certaine personne (qui se reconnaîtra) pour deux poèmes en prose que j'ai écrits il y a assez longtemps ("Saint-Pétersbourg" et "L'amour") m'a fait, ces jours-ci , me poser une question : mon talent poétique ne décline-t-il pas, ces dernières années, au regard de ces textes poétiques déjà lointains ?
Enfin, j'ai pensé à d'autres textes , détruits, à mon insu et contre mon gré, à l'état de manuscrits dont je ne possédais qu'un seul exemplaire, par une certaine personne. Je me suis dit que j'étais incapable, cinq ans après, de les reconstituer de mémoire , et même de tenter de les ré-écrire : l'écriture d'un poème ne naît-elle pas de la conjonction d'événements de la vie intime, d'états d'âmes particuliers dont l'unicité tient à ce qu'Apollinaire appelait la "couleur du temps" ? L'un de ces textes parlait de "Marie Stuart", l'autre, d'un personnage de la mythologie : "Narcisse".
La destruction de ces textes me fait penser à l'extrême vulnérabilité des "ouvrages de l'esprit" . Que serions-nous, que serait la culture française, si Les Fleurs du Mal avaient été détruits, à l'état de manuscrits, avant même d'être édités ? De poser cette question ("sans elles, qu'y aurait-il de changé à la culture du monde ?") jette un éclairage pertinent sur ces oeuvres de l'esprit .

dimanche 2 novembre 2008

Dimanche 2 Novembre 2008. 15H53

Dans les Mémoires d'Outre-Tombe, Tome IV, page 306, Chateaubriand, pour commenter l'état moral de la France de 1833, écrit : "or, nous sommes terre à terre dans la triste réalité d'une nature humaine amoindrie."
Ne pourrions-nous en dire tout autant de la France de 2008 ?

Dimanche 2 Novembre 2008. 13H39

Un souvenir en entraîne un autre : à quinze ans, je lisais les poèmes , comme d'autres goûtent au fruit défendu. La scolarité, au lycée, ne me passionnait guère : c'est un doux euphémisme ! Mon père, ayant appris, un soir, que je devais avoir un Contrôle d'Histoire-Géographie, le lendemain, au lycée, entreprit de vérifier que je révisais bien mon cours d'histoire. Il découvre, soudain, que je lis "Les derniers poèmes d'amour" d'Eluard , dans l'édition de Poche , chez Seghers. Ce qu'il fit, alors, fut pour moi une durable blessure et devait être une image rémanente , pendant longtemps : il jeta le livre dans le poêle à charbon, où, impuissant, je le vis se consumer.
Tout cela me semble bien lointain et bien dérisoire, à moi, qui , il y a quelques jours, ai déposé un pot de bruyère sur la tombe de mon père, où , malgré les ravages du temps, on peut encore lire, cette phrase de la Bible : "l'Eternel est près de ceux qui ont le coeur brisé".
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Pourtant , mon père, issu du monde ouvrier, n'était pas insensible à la poésie et n'était pas sans culture : après une fugue que j'avais faite , à douze ans, jusqu'à Marseille, il me dédicaça un exemplaire des Confessions de Rousseau, en ces termes : "Jean-Jacques Rousseau, Arthur Rimbaud, Michel Conrad, la lignée des fugitifs. Bon courage, mon petit !" "Fugitif", ce mot, tout compte fait, me caractérise bien , même si, aujourd'hui, mes voyages sont plutôt imaginaires. Disons que je suis un fugitif immobile, un "voyageur autour de ma chambre".
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Alors qu'il n'y avait aucun livre à la maison, je découvris, malgré tout, dans les affaires de mon père, un livre minuscule, qui tenait dans une paume, illustré d'aquarelles et publié chez Gründ : Les Fêtes Galantes , de Verlaine. Ce livre aussi a beaucoup compté dans la conception que je me suis faite de la poésie.

Dimanche 2 Novembre 2008. 13H16

En septembre 1963, il y a quarante-cinq ans, j'étais lycéen, en classe de Seconde, au Lycée Poincaré de Nancy (Meurthe-et-Moselle, France). Mon professeur de français (dont j'ai oublié le nom) interpella, à la fin d'un cours, les trente-cinq élèves de la classe de Seconde dont je faisais partie (la plupart étant issus de la bourgeoisie nancéienne --ce qui n'était pas mon cas), en ces termes : "je vous mets, tous, au défi d'utiliser, en sortant d'ici, votre argent de poche pour acheter Les Fleurs du Mal de Baudelaire dans une édition de Poche, au lieu d'aller acheter un paquet de cigarettes ou un billet de cinéma !"
Piqué au vif, je courus acheter Les Fleurs du Mal de Baudelaire dans l'édition prescrite, comme on va voler un fruit défendu, dans un jardin qui nous est interdit. Peut-être ai-je été le seul élève de la classe à acheter ce livre, ce jour-là ! Mais de la lecture des Fleurs du Mal est né mon inextinguible amour de la poésie.
Plus tard, vinrent les découvertes des poèmes d'Apollinaire, Eluard, Aragon, Cadou, Desnos, Breton, et de tant d'autres... Mais je ne peux oublier la couverture de l'exemplaire des Fleurs du Mal acheté en 1963 :" l'Olympia", de Manet, sur fond noir...
Puisse un adolescent d'aujourd'hui, (tel que mon fils A. , qui est en Seconde , comme je l'étais , alors) , lisant ces lignes, courir acheter Les Fleurs du Mal, à son tour !