jeudi 28 octobre 2010

Jeudi 28 Octobre 2010. 12H25

Il faut lire et relire la Cinquième Promenade, dans les " Rêveries du Promeneur solitaire" de Jean-Jacques Rousseau (Oeuvres complètes, Tome I, Bibliothèque de la Pléiade, p. 1040 à 1049). C'est ici que Rousseau atteint l'un des sommets de son art. De quoi s'agit-il ? D'évoquer le simple bonheur de "se souvenir de soi-même" (p. 1048, op. cit.).
L'impermanence des choses (quel autre sujet y-a-t-il, à l'écriture ?), est résumée par cette formule lapidaire : "Aussi n'a-t-on guère ici-bas que du plaisir qui passe" (p. 1046, op. cit.). Dès lors, la continuité du bonheur pourra se trouver dans un état d'oisiveté, au milieu de la nature : "De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d'extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure, on se suffit à soi-même comme Dieu." (p. 1047, op. cit.).
Et que dire de cette formule magistrale, pour résumer l'oeuvre du temps sur nos corps : "Hélas, c'est quand on commence à quitter sa dépouille, qu'on en est le plus offusqué." (p. 1049, op. cit.) ?

vendredi 23 juillet 2010

Vendredi 23 Juillet 2010, 17H42

Rousseau, ou la tentation de la solitude : "il me semblait que dans cette île je serais plus séparé des hommes, plus à l'abri de leurs outrages, plus oublié d'eux, plus livré, en un mot, aux douceurs du désoeuvrement et de la vie contemplative. J'aurais voulu être tellement confiné dans cette île, que je n'eusse plus de commerce avec les mortels, et il est certain que je pris toutes les mesures imaginables pour me soustraire à la nécessité d'en entretenir." (Les Confessions, Classiques Garnier, 1980, p. 758 et 759)

jeudi 11 février 2010

Jeudi 11 Février 2010. 9H28

Quand on prend la plume , sait-on ce qui aura, réellement, de l'importance, pour ceux qui nous liront, deux siècles plus tard ?

Lorsque Chateaubriand relate, dans les Mémoires d'Outre-Tombe, les circonstances de l'élection d'un nouveau Pape, en 1828, alors qu'il est Ambassadeur de France, à Rome , se doute-t-il que cela ne pourra plus , un jour, intéresser personne ?

En revanche , ses réflexions sur la précarité de la vie traversent le temps , comme une flèche, qui nous atteint encore, aujourd'hui.

De la même façon, lorsque Jean-Jacques Rousseau passe une année à Venise, du 4 Septembre 1743 au 22 Août 1744 , en tant que secrétaire de M. de Montaigu, Ambassadeur de France à Venise, pourquoi se sent-il obligé, en relatant son retour vers Paris, d'évoquer avec force détails une "friponnerie bien basse de M. de Montaigu", qui, elle aussi, ne peut plus intéresser personne, aujourd'hui : "J'avais fait venir de Paris une petite caisse contenant une veste brodée en or, quelques paires de manchettes et six paires de bas de soie blancs ; rien de plus. Sur la proposition qu'il m'en fit lui-même, je fis ajouter cette caisse, ou plutôt cette boîte, à son bagage. Dans le mémoire d'apothicaire qu'il voulut me donner en payement de mes appointements, et qu'il avait écrit de sa main, il avait mis que cette boîte , qu'il appelait ballot, pesait onze quintaux, et qu'il en avait passé le port à un prix énorme. Par les soins de M. Boy de La Tour, auquel j'étais recommandé par M. Roguin, son oncle, il fut vérifié sur les registres des douanes de Lyon et de Marseille que ledit ballot ne pesait que quarante-cinq livres, et n'avait payé le port qu'à raison de ce poids. Je joignis cet extrait authentique au mémoire de M. de Montaigu ; et, muni de ces pièces et de plusieurs autres de la même force, je me rendis à Paris, très impatient d'en faire usage." (Les Confessions, Classiques Garnier, 1980, p.382).

En revanche, Rousseau évoque de façon trop lapidaire, hélas, ce qui serait lu, aujourd'hui encore, avec intérêt , si cela eût été un tant soit peu développé : "J'eus, durant toute cette longue route, de petites aventures à Côme, en Valais et ailleurs. Je vis plusieurs choses, entre autres les îles Borromées, qui mériteraient d'être décrites." (p. 382, op. cit.). Sans doute , la vie n'est-elle faite que de "petites aventures" qui, seules, "mériteraient d'être décrites", comme ces "iles Borromées", dont Rousseau a conscience que leur description eût intéressé le lecteur.

Les îles Borromées "mériteraient d'être décrites" : ce conditionnel du verbe , qui sonne comme un repentir, est suivi de la justification de l'auteur : "Mais le temps me gagne, les espions m'obsèdent ; je suis forcé de faire à la hâte et mal un travail qui demanderait le loisir et la tranquillité qui me manquent."(p. 382, op. cit.)

Ainsi l'écriture est placée au centre d'une lutte contre des "espions ", sans doute imaginaires , et dans une course-poursuite contre le temps, qui rejoint celui qui écrit : "le temps me gagne".

Il n'empêche que je regrette, moi, lecteur de 2010 , ces " îles Borromées" dont l'absence se creuse dans le récit, à tel point que Rousseau se fait (et nous fait) la promesse d'y revenir , un jour, --promesse qu'il ne tiendra pas : "Si jamais la Providence, jetant les yeux sur moi, me procure enfin des jours plus calmes, je les destine à refondre, si je puis, cet ouvrage, ou à y faire au moins un supplément dont je sens qu'il a grand besoin".

Voilà, sans doute, pourquoi, en ce qui concerne mes écrits, je m'attarde, aujourd'hui, à évoquer la couleur des nuages qui sont mes seules "îles Borromées", à moi, qui jamais ne voyage, et dont ces nuages seront, peut-être, les seules choses qui pourront encore , de tout ce que j'ai pu écrire, intéresser quelqu'un, dans deux siècles !