mercredi 31 décembre 2008

Mercredi 31 Décembre 2008. 17H41

Comment, mieux que Chateaubriand, peut-on exprimer la vanité et la précarité de la vie, en deux phrases : "Ma gondole au retour du Lido suivait celle d'une troupe de femmes qui chantaient des vers du Tasse; mais au lieu de rentrer à Venise, elles remontèrent vers Palestrine comme si elles eussent voulu gagner la haute mer : leur voix se perdaient dans l'unisonance des flots . Au vent mes concerts et mes songes !". Et cette phrase est complétée par celle qui ouvre le paragraphe suivant : "Tout change à tout moment et toujours : je tourne la tête en arrière, et j'aperçois comme d'autres lagunes, ces lagunes que je traversai en 1806 allant à Trieste : j'en emprunte la vue à l'Itinéraire." (p. 399, op. cit.).
Emouvante aussi est l'attitude immensément naïve de Chateaubriand, traçant sur le sable le nom de la femme qu'il aimait, en ce geste éternel des amants : "j'ai écrit un nom tout près du réseau d'écume, où la dernière onde vient de mourir; les lames successives ont attaqué lentement le nom consolateur; ce n'est qu'au seizième déroulement qu'elles l'ont emporté lettre à lettre et comme à regret : je sentais qu'elles effaçaient ma vie." (p. 403, op.cit.)

Mercredi 31 Décembre 2008. 14H04

De tout ce que l'on écrit , en racontant nos vies, que restera-t-il, dans deux siècles ? Peut-être seulement une annotation sur le temps qu'il fait... Je n'en veux pour preuve que ces lignes de Chateaubriand , écrites il y a 175 ans , et qui me parlent encore plus , peut-être, que tout ce qu'il a pu écrire de suprêmement philosophique, historique, théologique, poétique , ces lignes extrêmement banales, où l'homme qu'il fut, l'homme ordinaire qu'il fut, un jour, hic et nunc, transparaît tout entier : "le temps était équivoque; il pleuvait par intervalles; la brise autorisait une augmentation de vêtement". (p. 390, Mémoires d'Outre-Tombe, IV, Flammarion Grand Format, 1982). Aussitôt après avoir écrit cette phrase humaine, trop humaine, l'auteur revient à l'évocation de son rôle social, historique, mais avec une extraordinaire ironie, une extraordinaire distanciation : "Ma gloire, enveloppée dans un manteau, opéra sa descente heureusement sans être reconnue". (p. 390, op. cit.). Il faut bien jouer son rôle dans le grand théâtre du monde.

Mercredi 31 décembre 2008. 10H05

L'édition (établie par Jean-Claude Berchet) dans laquelle je lisais, jusqu'à présent, le tome IV des Mémoires d 'Outre-Tombe (Classiques de Poche, 2002) , a fait le choix, respectant, sans nul doute, la dernière volonté de l'auteur, de renvoyer, dans un "Appendice", à la fin de l'ouvrage "le livre sur Venise". C'est pourquoi je choisis de poursuivre ma lecture du Tome IV, dans l'édition Flammarion Grand Format , (qui respecte, elle, le "manuscrit de 1845") , dite "édition du Centenaire", établie par Maurice Levaillant, 1982. Cette édition, elle, ne renvoie pas à la fin de l'ouvrage le "livre sur Venise".
Certes , ces "fragments retranchés", au dernier instant, par l'auteur, sous la pression de son entourage, ne contiennent pas d'éléments grandioses, mais des éléments simples et intimes, qui nous apprennent beaucoup, cependant, sur l'auteur et m'émeuvent particulièrement : " Nous ne pouvons souffrir aucune réputation ; nos vanités prennent ombrage de tout; chacun se réjouit intérieurement quand un homme de mérite vient à mourir : c'est un rival de moins; son bruit importun empêchait d'entendre celui des sots, et le concert croassant des médiocrités." (p. 376 de l'edition Flammarion Grand Format, 1982). Ou bien encore : "Toutes les fois que je suis tombé du sommet de ma fortune, j'ai ressenti une joie inexprimable à rentrer dans ma pauvreté et ma solitude, à jeter bas mes broderies, mes plaques, mes cordons, à reprendre ma vieille redingote, à recommencer les promenades du poète par le vent et la pluie, le long de la Seine vers Charenton ou Saint-Cloud." (p. 380, édition Flammarion Grand Format, 1982).

mardi 30 décembre 2008

Mardi 30 Décembre 2008. 14H56

Ce qui me choque, sous la plume de Chateaubriand, c'est qu'il y a , de la part du Vicomte Chateaubriand, un mépris de caste à l'égard de Rousseau, issu d'une couche sociale inférieure : "Byron arriva riche et fameux à Venise, Rousseau y débarqua pauvre et inconnu ; tout le monde sait le palais qui divulgua les erreurs de l'héritier noble du célèbre commodore anglais ; aucun cicerone ne pourrait vous indiquer la demeure où cacha ses plaisirs le fils plébéien de l'obscur horloger de Genève." ( Mémoires d'Outre-Tombe, IV, p. 422, op. cit.). Le jugement de Chateaubriand est d'une grande injustice en ce qui concerne le style de Rousseau : "A travers le charme du style de l'auteur des Confessions, perce quelque chose de vulgaire, de cynique, de mauvais ton, de mauvais goût ; l'obscénité d'expression particulière à cette époque gâte encore le tableau." (p. 422, op. cit.)
Tout cela est formidablement injuste et trahit l'esprit d'un homme d'une société ancienne , pour lequel le clivage entre les nobles et ceux qui sont issus d'une basse extraction ne peut que perdurer.
Pourtant , c'est Rousseau qui me forma profondément honnête homme , moi qui suis, tout comme lui, issu d'un milieu social modeste, avec des textes extraordinaires, comme celui des Confessions qui s'achève par les lignes suivantes : " Ceux qui liront ceci ne manqueront pas de rire de mes aventures galantes , en remarquant qu'après beaucoup de préliminaires, les plus avancées finissent par baiser la main. O mes lecteurs ! ne vous y trompez pas. J'ai peut-être eu plus de plaisir dans mes amours, en finissant par une main baisée, que vous n'en aurez jamais dans les vôtres, en commençant tout du moins par là." (Confessions, édition Garnier, p. 154 , achevée d'imprimer le 10 Avril 1980).

lundi 29 décembre 2008

Lundi 29 Décembre 2008. 11H30

En 1972, lorsque je préparais ma Licence de Lettres Modernes à la Faculté des Lettres de Besançon (France), je lus et relus, avec une volupté indicible, Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau (1782). J'eus d'ailleurs mon heure de gloire , dans cette même Faculté des Lettres, en faisant un exposé sur "la journée des cerises", (p. 152 et 153 de l'édition Garnier des Confessions, 1980). en présence du professeur Paul Sadrin qui me fit ce compliment inoubliable : "Monsieur, si Jean-Jacques Rousseau avait été là, il aurait été content."
En 2008, soit trente-six ans plus tard, je lis dans les Mémoires d'Outre-Tombe (Tome IV) une page extraite des Confessions de Rousseau et fidèlement recopiée par Chateaubriand, p. 420 et 421, qui consiste en le récit de l'aventure que Rousseau vécut à Venise en compagnie d'une certaine "Zulietta", aventure qui se termine par une formule péremptoire adressée à Rousseau par ladite "Zulietta" : "lascia le donne e studia la matematica" : "laisse les femmes et étudie les mathématiques" (p. 421 des Mémoires d'Outre-Tombe, IV, op.cit. et page 379 de l'édition Garnier des Confessions, 1980).
J'ai donc renoué avec Rousseau, ce matin, par Chateaubriand interposé. Quant à la phrase prononcée par "Zulietta", je me suis dit que si une femme , ces jours-ci, m'adressait la même phrase à moi-même, je peux dire que je me dirais , en mon for intérieur, que mon inclination, ces jours-ci , ne va à rien d'autre qu'à des choses purement immatérielles. Comme "l'étranger" du poème en prose de Baudelaire (Petits poèmes en prose, 1869) , que l'on questionne sur ce qui suscite en lui de l'intérêt, je crois que je pourrais répondre, tout comme lui : "J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... les merveilleux nuages".

dimanche 28 décembre 2008

Dimanche 28 Décembre 2008. 9H48

La mort est omniprésente dans certaines phrases du Tome IV des Mémoires d'Outre-Tombe . Ainsi : " Antonio me disait : "Quand ce cimetière sera plein, on le laissera reposer, et on enterrera les morts dans l'île Saint-Michel de Murano." L'expression était juste : la moisson faite, on laisse la terre en jachère et l'on creuse ailleurs d'autres sillons." (fin du chapitre 9, Livre trente-neuvième, p.413, op.cit.)
Mais , dans le chapitre suivant (chapitre 10 du Livre trente-neuvième), qui s'ouvre par cette phrase qui poursuit la métaphore du chapitre précédent "Nous sommes allés voir cet autre champ qui attend le grand laboureur.", il y a cette phrase que je juge violente (à moins que je ne la comprenne pas) : "un jardin rempli de fleurs va rejoindre le gazon dont l'engrais se prépare encore sous la peau fraîche d'une jeune fille." (p. 413, op.cit.)

vendredi 26 décembre 2008

Vendredi 26 Décembre 2008. 16H43

J'admire la force inouïe des images, des métaphores, dans le Tome IV des Mémoires d'Outre-Tombe : "Les images empruntées de la nature montagneuse ont surtout des rapports sensibles avec nos fortunes ; celui-ci passe en silence comme l'épanchement d'une source ; celui-ci attache un bruit à son cours comme un torrent ; celui-là jette son existence comme une cataracte qui épouvante et disparaît" (p. 383, op.cit.)
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A-t-on lu, au XXI° siècle, Chateaubriand ? Lors de la dernière campagne présidentielle, en France, en 2007, la candidate Ségolène Royal, avait créé un site internet :"Désirs d'avenir". Or, je lis, dans les Mémoires d'Outre-Tombe, Tome IV, cette phrase écrite par Chateaubriand, à Venise (Hôtel de l'Europe), le 10 Septembre 1833, et qui fait, étrangement, écho au nom du site de Ségolène Royal : "Les débris d'une ancienne société qui produisit de telles choses, ne vous laissent aucun désir d'avenir". (p. 392, op. cit.)

Vendredi 26 Décembre 2008. 11H00

La rapidité des associations d'idées dans le cerveau de Chateaubriand, qui rédige son "Journal de Paris à Venise" (Mémoires d'Outre-Tombe, IV, p. 381 à 388) aboutit, quelquefois, à une rédaction qui choque presque l'esprit et qui confine à une forme de violence verbale, et même morale, à force d'alacrité du style, par l'absence même de toute transition : "A Bex, tandis qu'on attelait à ma voiture les chevaux qui avaient peut-être traîné le cercueil de Madame de Custine, j'étais appuyé contre le mur de la maison où était morte mon hôtesse de Fervaques. Elle avait été célèbre au Tribunal révolutionnaire par sa longue chevelure. J'ai vu à Rome de beaux cheveux blonds retirés d'une tombe." (p. 382 et 383, op. cit.)

jeudi 25 décembre 2008

Jeudi 25 Décembre 2008. 16H10

Dans les Mémoires d'Outre-Tombe, IV, cette fulgurance : "Toujours regretter ce qu'il a perdu, toujours s'égarer dans les souvenirs, toujours marcher vers la tombe en pleurant et s'isolant : c'est l'homme." (p. 383, op. cit.)

mardi 23 décembre 2008

Mardi 23 Décembre 2008. 17H26

La force et la beauté d'un poème n'ont rien à voir avec les circonstances de son écriture , ni avec l'humeur de celui qui écrit : pistolet sur la tempe, on peut écrire un poème mièvre ! Il faut se rendre à l'évidence : l'intensité -- celle qui va transporter le lecteur dans l'espace du poème !-- prend sa source ailleurs que dans la joie, ou dans le désespoir !

Mardi 23 Décembre 2008. 10H41

Dans le Tome IV des Mémoires d'Outre-Tombe , que je lis encore et toujours , ces lignes que je juge merveilleuses : "Lecteurs, supportez ces arabesques ; la main qui les dessina ne vous fera jamais d'autre mal ; elle est séchée. Souvenez-vous, quand vous les verrez, qu'ils ne sont que les capricieux enroulements tracés par un peintre à la voûte de son tombeau." (p. 360, op. cit.)

lundi 22 décembre 2008

Lundi 22 Décembre 2008. 16H46

Romilly-Sur-Seine.
Troisième jour de vacances, en compagnie de mon fils Alexandre...Samedi 20 et Dimanche 21 Décembre : visite à l'Espace Alzheimer d'une maison de retraite, pour essayer d'entrer en contact avec celle qui me donna la vie, lui dire ma tendresse au milieu d'autres malades, prostrés ou agressifs...
Aujourd'hui lundi 22 Décembre, j'ai achevé d'écrire, tôt ce matin, quelques textes liés à l'engagement politique qui fut le mien en Mars 2008 : après la défaite de la liste sur laquelle je figurais en bonne place , je ne peux me résoudre à quitter le navire en train de couler (je laisse cela aux rats), et je veux témoigner de ma fidélité encore et encore à ceux qui m'avaient propulsé dans le rôle de "futur premier Adjoint au Maire de la ville de Romilly-Sur-Seine"...
Je me souviens de Joe Triché, Conseiller Général communiste du canton de Romilly 1, lorsque je vins à la permanence du Parti Communiste, faire acte d'allégeance, et de la seconde où il me demanda si j'acceptais les fonctions de Premier-Adjoint...
Je m'engageai dans la campagne : distributions de tracts, porte-à-porte...Un dimanche matin, Fethi Cheikh, Secrétaire du Parti communiste de la Section de Romilly, m'offrit un café noir dans un Bar-PMU...Puis , sur le trottoir, comme nous étions en train de distribuer des tracts, il me montra quelqu'un qui s'approchait de nous, en me disant, au creux de l'oreille : " c'est la tête pensante de la Droite à Romilly-Sir-Seine"...Cette tête pensante nous interpella, en disant : "vous n'êtes pas à la messe ?". Je répondis à cet individu : "Monsieur, nous sommes trop mécréants, que le Seigneur nous pardonne !"....
Puis il y eut le meeting où François Hollande et Marie-George Buffet vinrent soutenir notre liste...Au nom de ces souvenirs d'un combat commun, je continue à me battre aux côtés de ceux qui n'ont pas quitté le navire, après le naufrage de la défaite, le 16 Mars 2008... Telle est ma conception de l'honneur, qui semblera, peut-être, à certains, bien dérisoire, mais c'est ainsi.
Enfin, ce soir, je décide de consacrer le temps à la "lecture-plaisir", à "l'écriture-plaisir", qui est très loin de l'écriture des textes administratifs que l'on attend de moi dans la vie professionnelle.
Le Tome IV des Mémoires d'Outre-Tombe est sur ma table de chevet : je demeure ébloui par le fragment qui s'intitule "Journal de Carlsbad à Paris" (p.334 à 363, op. cit.)...Ce sont des pages où le texte s'envole, il n'y a pas d'autre mot.

lundi 15 décembre 2008

Mardi 16 Décembre 2008. 5H37

J'éprouve une volupté sans fin à lire et relire ce sonnet de Du Bellay, extrait des Regrets (1558), (5, p. 71 de l'édition de poche Poésie/Gallimard, 1986) :

"Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceux qui aiment l'honneur, chanteront de la gloire,
Ceux qui sont près du roi, publieront sa victoire,
Ceux qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront,

Ceux qui aiment les arts, les sciences diront,
Ceux qui sont vertueux, pour tels se feront croire,
Ceux qui aiment le vin, deviseront de boire,
Ceux qui sont de loisir, de fables écriront,

Ceux qui sont médisants, se plairont à médire,
Ceux qui sont moins fâcheux, diront des mots pour rire,
Ceux qui sont plus vaillants, vanteront leur valeur,

Ceux qui se plaisent trop, chanteront leur louange,
Ceux qui veulent flatter, feront d'un diable un ange,
Moi, qui suis malheureux, je plaindrai mon malheur."