vendredi 6 mars 2009

Vendredi 6 Mars 2009. 18 H 59

Il y a des phrases écrites il y a deux cent cinquante ans , mais qui auraient pu avoir été écrites et mises en ligne , il y a trois minutes , par n'importe quel "blogueur", sur internet :"Je sais bien que le lecteur n'a pas grand besoin de savoir tout cela, mais j'ai besoin, moi , de le lui dire ." (Jean-Jacques Rousseau, édition des Classiques Garnier, 1980, p. 22). Toute la thérapie de l'écriture est là, aussi, comme son "plaisir" : "Que n'osé-je lui raconter toutes les petites anecdotes de cet heureux âge ...j'en veux une, une seule, pourvu qu'on me la laisse conter le plus longuement qu'il me sera possible, pour prolonger mon plaisir." (p. 22, op. cit.)

jeudi 5 mars 2009

Jeudi 5 Mars 2009. 16H06

J'entreprends la relecture des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, dans l'édition des Classiques Garnier ( édition de Jacques Voisine, Professeur à la Sorbonne, 1980). Ce sera, au moins, ma troisième lecture. Ma première lecture de cet ouvrage, à dix-sept ans, c'était dans une édition du Livre de Poche, que j'aimerais retrouver.
Une première lecture, c'est toujours une découverte, où tout a de l'importance : l'aspect physique du livre, le grain du papier, la dimension des caractères d'imprimerie...Je n'ai pas oublié, par exemple, l'édition du Livre de Poche des Poèmes d'Apollinaire, ou des Fleurs du Mal, celle, chez Folio, du Procès de Kafka, celle , chez Seghers, des Derniers Poèmes d'Amour d'Eluard, que mon père jeta dans le feu, quand j'étais lycéen, déclarant que ma passion de la poésie nuisait à mes études.
Le texte des Confessions, dès les premières lignes, me semble familier et --oserai-je le dire ?-- fraternel, tant ma sensibilité est proche de celle de Jean-Jacques. Evoquant sa formation intellectuelle, dès l'enfance, au travers de ses lectures , Rousseau écrit : "De ces intéressantes lectures, des entretiens qu'elles occasionnaient entre mon père et moi, se forma cet esprit libre et républicain, ce caractère indomptable et fier, impatient de joug et de servitude, qui m'a tourmenté tout le temps de ma vie dans les situations les moins propres à lui donner essor." (p. 8 et 9, op. cit.).
J'admire le rythme de la phrase de Rousseau, rythme sans doute inégalé, ces symétries destinées à donner encore plus de force à ce qui est écrit.

mercredi 4 mars 2009

Jeudi 5 Mars 2009. 8H18

Incroyable modernité des questions soulevées par Chateaubriand, en 1841, quand on pense à tous les nouveaux pauvres d'aujourd'hui , dans les pays "capitalistes", en 2009 : " Un état politique où des individus ont des millions de revenu, tandis que d'autres meurent de faim, peut-il subsister quand la religion n'est plus là, avec ses espérances hors de ce monde, pour expliquer le sacrifice ?" (Mémoires d'Outre-Tombe, IV, Flammarion Grand Format, 1982, p. 581).
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Et que dire de cette merveilleuse phrase sur "l'infini" , où se trouve, exprimé en quelques mots, tout le travail du poète: " L'homme n'a pas besoin de voyager pour s'agrandir ; il porte avec lui l'immensité. Tel accent échappé de votre sein, ne se mesure pas, et trouve un écho dans des milliers d'âmes : qui n'a point en soi cette mélodie, la demandera en vain à l'univers. Asseyez-vous sur le tronc de l'arbre abattu au fond des bois ; si dans l'oubli profond de vous-même, dans votre immobilité, dans votre silence, vous ne trouvez pas l'infini, il est inutile de vous égarer aux rives du Gange." (p. 587, Flammarion, IV, op. cit.) .
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Et encore cette phrase, qui relativise l'importance de la littérature : "Le plus beau livre de la terre, ne vaut pas un acte inconnu de ces martyrs sans nom dont Hérode avait mêlé le sang à leurs sacrifices" (p. 600 et 601, Flammarion, IV, op. cit.)
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Et enfin, cette phrase ultime, qui clôt les Mémoires d'Outre-Tombe : "Je vois les reflets d'une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. Il ne me reste qu'à m'asseoir au bord de ma fosse, après quoi, je descendrai hardiment le Crucifix à la main, dans l'Eternité." (p. 606, op. cit.). Dans cette phrase, la mort n'est pas chasseresse (voir l'image du "Grand Veneur de la Mort", Mémoires d'Outre-Tombe, II, Classiques de Poche, 2003, p. 543), elle n'est pas prédatrice , comme dans la phrase concernant la mort de Talleyrand ("la mort le cherchait de la part de Dieu et elle l'a enfin trouvé", Flammarion, IV, p. 566, op. cit.). Dans la dernière phrase dont le rythme, la cadence sont soigneuseusement étudiés (syllabes réparties en groupes réguliers : 5, 3 ,5, 3, 4, 3, 4, 3, 5), on assiste à une théâtralisation de la mort : c'est Chateaubriand qui, loin de subir la mort, comme d'autres, va vers elle, "hardiment" : quelque part, la seule façon de vaincre la mort, sans doute, c'est de l'accepter "hardiment". Chateaubriand est muni, pour seule arme, pour seul viatique, d'un "Crucifix", c'est-à-dire de sa croyance, réaffirmée ici, en un "christianisme catholique" ("je ne trouve de solution à l'avenir que dans le christianisme, et dans le christianisme catholique", Flammarion, IV, p. 596, op. cit.).
Le mot "Eternité" n'annonce pas une fin, mais le début d'une immensité.
On pense à Rimbaud :
"Elle est retrouvée
Quoi ? l'éternité
C'est la mer allée
Avec le soleil".
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Je viens d'achever, en ce 5 Mars 2009, à huit heures du matin, la lecture des trois mille pages des Mémoires d'Outre-Tombe, lecture sans cesse commencée, puis abandonnée, puis reprise, depuis vingt ans...J'avais acheté le tome IV des Mémoires dans l'édition Flammarion Grand Format (1982), il y a vingt ans, bientôt, le 28 Juin 1989, à Laxou (Meurthe-et-Moselle) , en perspective de la préparation de l'Agrégation de Lettres Modernes (1990) . Le sujet de la Composition Française, d'une durée de sept heures, devait être , en cette année 1990 : "Chateaubriand écrit dans les Mémoires d'Outre-Tombe (quatrième partie, II, 13) : "Ma mémoire oppose sans cesse mes voyages à mes voyages, montagnes à montagnes, fleuves à fleuves, forêts à forêts, et ma vie détruit ma vie. Même chose m'arrive à l'égard des sociétés et des hommes." Dans quelle mesure cette réflexion du mémorialiste éclaire-t-elle votre lecture de la quatrième partie des Mémoires d'Outre-Tombe ?" Ce sujet , je le comprends aujourd'hui, consistait à montrer les Mémoires, écrits en trente ans, comme un immense palimpseste.
Toujours est-il que j'échouai à l'Agrégation de 1990 (comme à toutes mes autres candidatures à ce concours). Il était écrit que je ne devais jamais "m'agréger" à cette troupe d'élus. Tout ce que j'écris aujourd'hui n'est-il pas une façon, bien dérisoire, de compenser mes échecs à ladite Agrégation ? L'Agrégation ce sera, pour moi, dans une autre vie : il me reste, auparavant, à présent, à moi aussi, à descendre, "hardiment" , " dans l'Eternité" .


Mercredi 4 Mars 2009. 15H02

En une auto-dérision feinte, par antiphrase, Chateaubriand parle ainsi, caricaturalement, de lui-même : "Je raisonne ici, je le sais, en homme dont la vue bornée n'embrasse pas le vaste horizon humanitaire, en homme rétrograde attaché à une morale qui fait rire ; morale caduque du temps jadis, bonne tout au plus pour des esprits sans lumière, dans l'enfance de la société". ( Mémoires d'Outre-Tombe, IV, Editions Flammarion Grand Format, 1982, p. 552).
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Phrase qui donne à méditer, que celle-ci : "En même temps qu'il faut mettre une faculté rare, mais trop flexible, en garde contre des bêtises supérieures, il faut aussi la prévenir que les écrits de fantaisie, les peintures intimes (comme cela se jargonne), sont bornés, que leur source est dans la jeunesse, que chaque instant en tarit quelques gouttes, et qu'au bout d'un certain nombre de productions, on finit par des répétitions affaiblies." (p. 553, op. cit.). Il est sûr que je ne pourrais plus écrire, aujourd'hui, ce que j'écrivais à vingt ans , dont la "source" était "dans la jeunesse". J'espère, tout du moins , n'en n'être pas réduit, à présent, à "des répétitions affaiblies".
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Et que dire de cette fulgurance : "Notre espèce se divise en deux parts inégales : les hommes de la mort et aimés d'elle ; troupeau choisi qui renaît ; les hommes de la vie et oubliés d'elle ; multitude de néant qui ne renaît plus." (p. 565 , op. cit.) Le paradoxe est ainsi absolu : seuls survivent "les hommes de la mort".
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Pour se convaincre que le le personnage métaphorique de la Mort traverse, de part en part, tout le texte des Mémoires d'Outre-Tombe , il suffit de relire ceci : "M. de Talleyrand appelé de longue date au tribunal d'en haut, était contumax ; la mort le cherchait de la part de Dieu, et elle l'a enfin trouvé." (p. 566, op. cit.)
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Autre personnage métaphorique, magnifiquement mis en scène : le malheur. Ainsi : "Le malheur qui se perpétue produit sur l'âme l'effet de la vieillesse sur le corps ; on ne peut plus remuer ; on se couche. Le malheur ressemble encore à l'éxécuteur des hautes justices du ciel : il dépouille les condamnés, arrache au roi son sceptre, au militaire son épée ; il ôte le décorum au noble, le coeur au soldat, et les renvoie dégradés dans la foule." (p. 570, op. cit.).
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Enfin, Chateaubriand nous renvoie à la quête de notre identité profonde, à la superficialité, à l'insignifiance, même, de nos destins individuels : "Notre orgueil se met en colère à la seule exposition de ces magnifiques tapisseries du Louvre ; des Ombres, même des broderies d'Ombres nous choquent. Inconnus ce matin, plus inconnus ce soir, nous ne nous en persuadons pas moins que nous effaçons ce qui nous précéda : et toutefois chaque minute en fuyant nous demande : "Qui es-tu ?" et nous ne savons que répondre. " (p. 572, op. cit.)