mercredi 4 mars 2009

Mercredi 4 Mars 2009. 15H02

En une auto-dérision feinte, par antiphrase, Chateaubriand parle ainsi, caricaturalement, de lui-même : "Je raisonne ici, je le sais, en homme dont la vue bornée n'embrasse pas le vaste horizon humanitaire, en homme rétrograde attaché à une morale qui fait rire ; morale caduque du temps jadis, bonne tout au plus pour des esprits sans lumière, dans l'enfance de la société". ( Mémoires d'Outre-Tombe, IV, Editions Flammarion Grand Format, 1982, p. 552).
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Phrase qui donne à méditer, que celle-ci : "En même temps qu'il faut mettre une faculté rare, mais trop flexible, en garde contre des bêtises supérieures, il faut aussi la prévenir que les écrits de fantaisie, les peintures intimes (comme cela se jargonne), sont bornés, que leur source est dans la jeunesse, que chaque instant en tarit quelques gouttes, et qu'au bout d'un certain nombre de productions, on finit par des répétitions affaiblies." (p. 553, op. cit.). Il est sûr que je ne pourrais plus écrire, aujourd'hui, ce que j'écrivais à vingt ans , dont la "source" était "dans la jeunesse". J'espère, tout du moins , n'en n'être pas réduit, à présent, à "des répétitions affaiblies".
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Et que dire de cette fulgurance : "Notre espèce se divise en deux parts inégales : les hommes de la mort et aimés d'elle ; troupeau choisi qui renaît ; les hommes de la vie et oubliés d'elle ; multitude de néant qui ne renaît plus." (p. 565 , op. cit.) Le paradoxe est ainsi absolu : seuls survivent "les hommes de la mort".
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Pour se convaincre que le le personnage métaphorique de la Mort traverse, de part en part, tout le texte des Mémoires d'Outre-Tombe , il suffit de relire ceci : "M. de Talleyrand appelé de longue date au tribunal d'en haut, était contumax ; la mort le cherchait de la part de Dieu, et elle l'a enfin trouvé." (p. 566, op. cit.)
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Autre personnage métaphorique, magnifiquement mis en scène : le malheur. Ainsi : "Le malheur qui se perpétue produit sur l'âme l'effet de la vieillesse sur le corps ; on ne peut plus remuer ; on se couche. Le malheur ressemble encore à l'éxécuteur des hautes justices du ciel : il dépouille les condamnés, arrache au roi son sceptre, au militaire son épée ; il ôte le décorum au noble, le coeur au soldat, et les renvoie dégradés dans la foule." (p. 570, op. cit.).
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Enfin, Chateaubriand nous renvoie à la quête de notre identité profonde, à la superficialité, à l'insignifiance, même, de nos destins individuels : "Notre orgueil se met en colère à la seule exposition de ces magnifiques tapisseries du Louvre ; des Ombres, même des broderies d'Ombres nous choquent. Inconnus ce matin, plus inconnus ce soir, nous ne nous en persuadons pas moins que nous effaçons ce qui nous précéda : et toutefois chaque minute en fuyant nous demande : "Qui es-tu ?" et nous ne savons que répondre. " (p. 572, op. cit.)



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