lundi 24 août 2009

Lundi 24 Août 2009.

"La vie ambulante est ce qu'il me faut." (Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, éditions des Classiques Garnier, 1980, p. 195) : que disent d'autre tous les "road stories", tous les "road movies" d'aujourd'hui ?

jeudi 13 août 2009

Jeudi 13 Août 2009. 15H07.

Romilly-Sur-Seine.

"Ils ont en effet le sentiment qu'ils vous témoignent ; mais ce sentiment s'en va comme il est venu. En vous parlant ils sont pleins de vous ; ne vous voient-ils plus, ils vous oublient. Rien n'est permanent dans leur coeur : tout est chez eux l'oeuvre du moment." ( Confessions, p. 181, op.cit). C'est ainsi que Rousseau s'exprime à propos des "Français",--et je ne trouve pas que cela soit tout-à-fait faux...Bien que je sois d'une origine cosmopolite (polonaise, allemande, française), ai-je cela en commun avec les "Français" ?
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"La chose que je regrette le plus dans les détails de ma vie dont j'ai perdu la mémoire est de n'avoir pas fait des journaux de mes voyages. Jamais je n'ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j'ose ainsi dire, que dans ceux que j'ai faits seul à pied. La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit." (p. 183, op.cit.) Cette phrase est très moderne, ou plutôt elle est éternelle : combien de philosophes, de l'Antiquité à nos jours, ont pensé en marchant ?
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"Si pour les fixer je m'amuse à les décrire en moi-même, quelle vigueur de pinceau, quelle fraîcheur de coloris, quelle énergie d'expression je leur donne ! On a, dit-on, trouvé de tout cela dans mes ouvrages, quoique écrits vers le déclin de mes ans. Oh ! si l'on eût vu ceux de ma première jeunesse, ceux que j'ai faits durant mes voyages, ceux que j'ai composés et que je n'ai jamais écrits !...Pourquoi, direz-vous, ne les pas écrire ? Et pourquoi les écrire ? vous répondrai-je : pourquoi m'ôter le charme actuel de la jouissance, pour dire à d'autres que j'avais joui ? Que m'importaient des lecteurs, un public, et toute la terre, tandis que je planais dans le ciel ? D'ailleurs, portais-je avec moi du papier, des plumes ? Si j'avais pensé à tout cela, rien ne me serait venu. Je ne prévoyais pas que j'aurais des idées ; elles viennent quand il leur plaît, non quand il me plaît. Elles ne viennent point, ou elles viennent en foule ; elles m'accablent de leur nombre et de leur force. Dix volumes par jour n'auraient pas suffi. Où prendre du temps pour les écrire ? En arrivant je ne songeais qu'à bien dîner ; en partant je ne songeais qu'à bien marcher. Je sentais qu'un nouveau paradis m'attendait à la porte ; je ne songeais qu'à l'aller chercher." (p. 184, op.cit.).
Si l'on oppose ces lignes aux lignes du paragraphe précédent , on voit que Rousseau ne regrette en rien de ne pas avoir écrit au cours de ces voyages, ou plutôt on voit qu'il démontre qu'il lui était impossible d'écrire, que le geste très concret et matériel de l'écriture aurait nui à la survenue des idées, qui "viennent quand il leur plaît". Et puis surtout s'il avait voulu évoquer le "stream of consciousness" ainsi que l'a fait Joyce dans Ulysse, "dix volumes par jour n'aurait pas suffi". On voit que la réflexion de Rousseau rejoint toute la problématique de la littérature contemporaine.
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"Jamais je n'ai si bien senti tout cela que dans le retour dont je parle. En venant à Paris, je m'étais borné aux idées relatives à ce que j'y allais faire. Je m'étais élancé dans la carrière où j'allais entrer, et je l'avais parcourue avec assez de gloire : mais cette carrière n'était pas celle où mon coeur m'appelait, et les êtres réels nuisaient aux êtres imaginaires. Le colonel Godard et son neveu figuraient mal avec un héros tel que moi. Grâce au ciel, j'étais maintenant délivré de tous ces obstacles : je pouvais m'enfoncer à mon gré dans le pays des chimères, car il ne restait que cela devant moi. Aussi je m'y égarai si bien, que je perdis réellement plusieurs fois ma route ; et j'eusse été fort fâché d'aller plus droit, car sentant qu'à Lyon j'allais me retrouver sur la terre, j'aurais voulu n'y jamais arriver. (p. 184, op. cit). Lecteur, entends-tu cela : "les êtres réels nuisaient aux êtres imaginaires". Chaque écrivain, à travers les siècles, n'est-il pas en proie à cette inavouable préférence pour les "êtres" nés de son imagination ?
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"C'est une chose bien singulière que mon imagination ne se monte jamais plus agréablement que quand mon état est le moins agréable, et qu'au contraire elle est moins riante lorsque tout rit autour de moi. Ma mauvaise tête ne peut s'assujettir aux choses. Elle ne saurait embellir, elle veut créer. Les objets réels s'y peignent tout au plus tels qu'ils sont ; elle ne sait parer que les objets imaginaires. Si je veux peindre le printemps, il faut que je sois en hiver ; si je veux décrire un beau paysage, il faut que je sois dans des murs ; et j'ai dit cent fois que si jamais j'étais mis à la Bastille, j'y ferais le tableau de la liberté.( p.194, op. cit.). Comment dire mieux la nécessité du décalage absolu entre sa vie réelle et sa vie rêvée, pour celui qui tient la plume ?
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A travers les lignes qui précédent , on voit l'extraordinaire modernité de ce livre écrit au milieu du XVIII° siècle.

mercredi 12 août 2009

Mercredi 12 Août 2009. 17H45

Evoquant Mme de Warens, que , fort étrangement, il nomme "Maman", Rousseau écrit : "Mon attachement pour elle, quelque vif, quelque tendre qu'il fût, ne m'empêchait pas d'en aimer d'autres ; mais ce n'était pas de la même façon. Toutes devaient également ma tendresse à leurs charmes ; mais elle tenait uniquement à ceux des autres, et ne leur eût pas survécu ; au lieu que maman pouvait devenir vieille et laide sans que je l'aimasse moins tendrement." (Confessions, éditions des Classiques Garnier, 1980, p. 167).
Quelle plus belle façon d'évoquer l'amour pur , celui qui, précisément, fait que l'on aime après que celle que l'on a aimée fut devenue "vieille et laide"?
Quelques lignes plus loin, il précise : "Je ne l'aimais ni par devoir, ni par intérêt, ni par convenance ; je l'aimais parce que j'étais né pour l'aimer. Quand je devenais amoureux de quelque autre, cela faisait distraction, je l'avoue, et je pensais moins souvent à elle ; mais j'y pensais avec le même plaisir, et jamais, amoureux ou non, je ne me suis occupé d'elle sans sentir qu'il ne pouvait y avoir pour moi de vrai bonheur dans la vie tant que j'en serais séparé." (p. 168, op. cit.)
Voilà ce que la belle langue du XVIII° fait de mieux , dans un style étincelant de force et de simplicité : "je l'aimais parce que j'étais né pour l'aimer". Ou encore : "il ne pouvait y avoir pour moi de vrai bonheur dans la vie tant que j'en serais séparé."

vendredi 7 août 2009

Vendredi 7 Août 2009.

Romilly-Sur-Seine. 15H13.
Comment ne pas parler, au cours de ma relecture des Confessions de Rousseau , de ces pages absolument sublimes du "Livre Quatrième" qui, dans l'édition des Classiques Garnier (1980), s'étendent de la page 149 ("L'aurore un matin...") à la page 154 ("...en commençant tout au moins par là").
Quand il évoque cette belle journée de ses dix-huit ans, Rousseau a cinquante-quatre ans, il séjourne à Wootton, en Staffordshire : c'est aussi la magie de l'écriture que de ressusciter un passé vieux de trente-six ans.
Ces cinq pages ne font qu'évoquer les émois amoureux d'un jeune homme de dix-huit ans, mais, à mes yeux , elles sont plus importantes que le récit de je ne sais quel fait d'armes prestigieux, sous la plume d'un autre écrivain que Rousseau.
Cette journée de fin Juin , début Juillet 1730, près d'Annecy, se trouve éternisée, par la plume de Jean-Jacques.

jeudi 6 août 2009

Jeudi 6 Août 2009. 18H50.

"Connaître son être" : quelle fastueuse expression ! On la trouve sous la plume de Rousseau : "Me voilà donc enfin établi chez elle. Cet établissement ne fut pourtant pas encore celui dont je date les jours heureux de ma vie, mais il servit à le préparer. Quoique cette sensibilité de coeur, qui nous fait vraiment jouir de nous, soit l'ouvrage de la nature et peut-être un produit de l'organisation, elle a besoin de situations qui la développent. Sans ces causes occasionnelles, un homme né très sensible ne sentirait rien et mourrait sans avoir connu son être." (Les Confessions, p. 114, op. cit.).
Rousseau montre bien qu'une rencontre peut avoir un rôle de catalyseur : " Tel à peu près j'avais été jusqu'alors, et tel j'aurais toujours été peut-être, si je n'avais jamais connu Mme de Warens, ou même si, l'ayant connue, je n'avais pas vécu assez longtemps auprès d'elle pour contracter la douce habitude des sentiments affectueux qu'elle m'inspira." (p. 114, op. cit.). Il est des rencontres qui vous ouvrent une éclaircie dans le coeur.

Jeudi 6 Août 2009.

Romilly-Sur-Seine (Aube). 15H16.
Au milieu du XVIII° Siècle, Jean-Jacques Rousseau écrit une langue qui s'est perdue aujourd'hui, --ce dont bien me fâche.
Dans le "Livre Troisième" des Confessions, à la page 117 de l'édition des Classiques Garnier (achevé d'imprimer par l'imprimerie Tardy Quercy S.A., à Bourges, le 10 Avril 1980), à propos de la rencontre de Jean-Jacques et de Mme de Warens, on lit ceci : "Le coup d'oeil de notre première entrevue fut le seul moment vraiment passionné qu'elle m'ait jamais fait sentir; encore ce moment fut-il l'ouvrage de la surprise." . On pense à la rencontre de Frédéric et d' une jeune femme, dans l'Education Sentimentale, qui se conclut par ces mots qui sont l'alpha et l'oméga de tout : "leurs yeux se rencontrèrent". Mais , ici , le regard passionné tient lieu de début et de fin à la passion : "le seul moment passionné". Se lit aussi le poids des contraintes sociales, le poids de la morale : il faut que "la surprise" bouleverse les gestes et les attitudes que doit s'imposer, en tous temps et tous lieux , Mme de Warens, pour rester fidèle aux règles de sa condition.
Et puis , sous la plume de Rousseau, vient cette phrase : "Je n'avais ni transports ni désirs auprès d'elle; j'étais dans un calme ravissant, jouissant sans savoir de quoi." (p. 117, op cit.) . A-t-on mieux défini l'extase, la transcendance d'une émotion, au-delà du désir ? Cette extase profonde, qui vous transporte, abolit le temps et la durée, parce que, tout simplement, on est passé au-delà de leurs rivages : "J'aurais ainsi passé ma vie et l'éternité même sans m'ennuyer un instant." (p. 117, op.cit.).
Toute grande émotion nous donne, en effet, un avant-goût de l'éternité : c'est ce que Rousseau démontre, en quelques mots.