samedi 17 mai 2008

Dimanche 18 Mai 2008.Romilly-Sur-Seine.7H54

Hier, vers dix-huit heures, j'arrive à Villemaur-Sur-Vanne (Aube) , village de 400 habitants, en ayant suivi, depuis plusieurs kilomètres, des pancartes, au bord de la route, qui recommandent la visite de l'église XII°, XIII°, pour son jubé de bois. L'église semble fermée. Un clocher de bois, hors d'oeuvre, semble tout droit sorti du XVI° siècle. En contournant l'église, je vois une vieille dame qui ferme à clef une petite porte. "Je veux bien vous laisser entrer quelques minutes", dit-elle. Je découvre le "jubé de bois polychrome sculpté par Thomas et Jacques Guyon, 1531, avec escalier de bois" (Quid.fr, article sur Villemaur-Sur-Vanne). A cette nuance près que le jubé n'est plus du tout polychrome. La vieille dame explique : "en 1968, on a enlevé toutes les traces de couleurs, parce qu'on n'avait pas les moyens de le restaurer en son état initial". La vieille dame explique aussi la fonctionnalité du jubé : séparer la partie "profane" de la partie "sacrée" de l'église. En me tournant vers la partie profane je crois voir les voleurs de grand chemin, les soldats en armes suivis de prostituées , dont parle la vieille dame. Nous sommes en deçà de la partie "sacrée" qui apparaît (tout étant fermé, par les colonnades du jubé), comme lointaine, inaccessible. Je remarque les coquilles Saint-Jacques sculptées dans le jubé. Je demande à la dame : "une étape sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle ?" Elle me le confirme, dit qu'elle a fait le pèlerinage de Saint-Jacques, depuis Vézelay. Je lui réponds que j'ai toujours rêvé de faire le pèlerinage, sans le faire jamais. Elle me répond d'un air mystérieux : "si on croit à une vie après la mort, il faut le faire".

lundi 12 mai 2008

12 Mai 2008

12 Mai 2008. 11H30

Ce matin : ouvert, à coups de faux, un chemin au travers des roseaux et des orties, le long de la rivière, chemin que les hautes herbes, envahiront bientôt, à nouveau, image de l’éternel recommencement de la vie. Vu un bourdon se poser sur les « sabots de Vénus, pour les butiner : image du miracle de la vie.

Concernant la lettre du 5 Février 1829, (p.332, Mémoires d’Outre-Tombe. III, Livre de Poche Classique) que Chateaubriand écrit à Madame Récamier, et que je cite dans mon blog d’hier en la qualifiant de sublime, je découvre une autre lettre de Chateaubriand à la même destinataire , où il répond à la réponse et au commentaire (qui ne m’est pas accessible) de la lettre du 5 Février par Madame Récamier : « Vous me surprenez sur l’histoire de ma fouille ; je ne me souvenais pas de vous avoir écrit rien de si bien à ce propos. » (lettre à Madame Récamier, « Rome, le 3 mars 1829 », p. 366, op. cit. ).Et, dans cette lettre du 3 Mars, de façon bien dérisoire, il semble considérer que sa grande affaire du moment, à Rome, c’est de contribuer à l’élection du Pape, en ce mois de mars 1829, en tant qu’Ambassadeur de France à Rome : « Je crois cependant que je puis vous promettre un pape modéré et éclairé. ». Qui se souvient du nouveau Pape, élu à Rome, en 1829, alors que par sa lettre du 5 Février 1829, qui évoque des fouilles archéologiques, François-René entre de plain-pied dans la Littérature, comme on entre dans l’Histoire ?

11 Mai 2008

11 Mai 2008 . 10H

Ce matin, j’ai poursuivi le défrichage de mon jardin, à grands coups de faux. Dans le champ voisin, de l’autre côté de la rivière, des bœufs d’une grande beauté, à la robe de couleur unie, brune, blanche, ou beige : je ne peux oublier qu’ils sont condamnés à devenir des animaux de boucherie, ce dont bien me fâche !

Le clocher, qui jouxte ma maison lorraine, sonne dix heures. Ce martèlement des choches résonne, pour moi, comme un « Memento Mori ».

10H58

Lignes remarquables, lignes sublimes de Chateaubriand que celles de la lettre à Madame Récamier datée de « Rome, jeudi 5 février 1829 » (Mémoires d’Outre-Tombe , livre vingt-neuvième, Chapitre 16, p. 333 du volume III, du Livre de Poche Classique, 2002). Je ne peux qu’y renvoyer mon lecteur, ma lectrice.

10 Mai 2008

Pour le Blog

Samedi 10 Mai 2008. 8H47

Quand j’étais élève, à quinze ans, il y avait, dans l’un de mes manuels d’histoire ou de français, je ne sais plus, une gravure satirique et humoristique, à la fois, illustrant la situation du poète maudit, au XIX° siècle. On voyait un homme couché dans une mansarde avec un parapluie ouvert au- dessus de sa tête, à cause d’un trou dans le toit. J’ai longtemps rêvé sur cette image du poète maudit. J’ai cru longtemps avoir le courage de partir, moi aussi, vivre la « bohême » à Paris, à écrire dans des mansardes en buvant du café, des nuits entières, comme Balzac.

Au lieu de tout cela, j’ai mené une vie de fonctionnaire dans la fonction publique d’Etat, j’ai été , je suis encore, fonctionnaire de catégorie A, et j’hésite à demander la retraite , et à me faire « rayer des cadres », de peur de la décote liée aux années de travail qui me manquent, à ces quarante ans (bientôt quarante – et -un an) de travail exigés.

Pourtant, je pourrais la vivre, la « bohême », quarante-cinq ans plus tard. Mais j’ai, mesquinement, peur de ne plus avoir le confort et le luxe auquel je suis habitué : téléphone, internet, voiture. Or tout cela n’est en rien indispensable au grand projet d’écrire, pour lequel, il ne faut qu’un papier et un crayon.

10 Mai 2008. 12H45

Thionville : dans les rues, des amoureux, presque encore adolescents, en tenues d’été. Place de la République : des fouilles archéologiques. La ville sous la ville. Des fleurs de marronniers : l’éternel aujourd’hui.

9 Mai 2008

Vendredi 9 Mai 2008. 7H13

Ce matin : fauchage, de 6H15 à 6H45. Contrairement à hier, pas de rosée dans le jardin : y -a-t-il une heure, pour la rosée, ou existe-t-il des matins sans rosée ?. Obligé de m’arrêter toutes les minutes, à cause du cœur, comme un oiseau affolé dans sa cage. A travers les hautes herbes, j’ai dégagé un chemin jusqu’au pommier, couvert de fleurs blanches.

Contre le mur exposé à l’ouest de la maison, il y a, au pied de la vigne vierge, une sorte de fleur dont j’ignore le nom, ce dont bien me fâche. Cette fleur sauvage a poussé là par hasard : ce sont des sortes de fleurs de clématite, en beaucoup plus petit. Le même bleu, en tout cas.

Près de la rivière, non loin d’un sorbier des oiseleurs, il a une variété d’orties de petite taille et qui porte à ses extrémités, des fleurs de couleur mauve, dont j’ignore également le nom.

J’ai adossé une table de plastique blanc à un arbre (un sureau). Je bois le café, en écoutant longuement « le latin des oiseaux » (Aragon).

Pris des photos, sous tous les angles, de fleurs roses (sabots de Vénus), éclairées, comme par un projecteur, par le soleil levant, presque horizontal. De tous les angles de prises de vues, il n’y en a qu’un qui soit le bon, comme « de toutes les façons de dire une chose, il n’y en a qu’une qui soit la bonne. On ne la trouve pas toujours en parlant et en écrivant, il est vrai néanmoins qu’elle existe, et que tout ce qui n’est pas elle ne satisfait pas un homme d’esprit qui veut se faire entendre » (citation restituée de mémoire, et dont j’ai oublié l’auteur).

Sorti tout droit des hautes herbes, un chat blanc aux yeux bleus vient me rendre visite.

Vendredi 9 Mai 2008. 18H03

Mon voisin me parle de la difficulté de son métier d’éleveur de vaches. « Il faut, me dit-il, sans cesse réfléchir et observer le troupeau de vaches. Dès qu’une vache se tient à l’écart, il faut se dire : c’est peut-être une vache malade. »

A en juger par ma propension à me tenir à l’écart de la société humaine, je me dis que je dois être, moi aussi, à ma façon, « une vache malade ».

J’écris ces lignes au premier étage de ma maison, dans une pièce dont la fenêtre, côté ouest, donne sur une rivière peuplée de canards sauvages et de ragondins, et dont la fenêtre, côté sud donne sur le cimetière du village. L’écrivain devrait toujours écrire ainsi, suspendu entre la vie et la mort.


8 Mai 2008

Jeudi 8 Mai 2008. 9H50

Dans le jardin de ma maison, en Lorraine. Arrivé, hier, vers vingt-et-une heure, après avoir rendu visite à ma mère, de dix-neuf heures à vingt heures. Ma maison, en Lorraine, a traversé l’hiver sans que j’y vienne. J’ai dû la faire revivre, hier soir, rouvrir l’eau, aérer, balayer des insectes morts, sur le sol, je ne sais d’où venus. Ce matin, « à la fraîche », comme disent les paysans, je me suis frayé un chemin, à grands coups de faux, jusqu’au massif de lavande, que les mauvaises herbes, très hautes, étreignaient. Les tulipes, près du vieux puits, sont exténuées, à l’agonie et chacun de leurs pétales semble ne tenir plus qu’à un fil : elles ont connu leur heure d’apothéose, leur heure de gloire, alors que j’étais à deux cent cinquante kilomètres de là . Misère ! Seuls les mots du poète eussent pu leur faire un « Tombeau » digne d’elles !

Tandis que la cloche de l’église, qui jouxte ma maison, sonne dix heures, je songe à la date d’aujourd’hui : une image résume, pour moi, la capitulation de l’Allemagne nazie, celle de ce soldat russe plantant le drapeau rouge sur le Reichstag. Ce qu’il a fallu de courage, pour venir à bout de l’hydre !

Hier matin, vers six heures du matin, je consultais sur « internet » le site Google Analytics , pour avoir des éléments d’information sur le nombre de visiteurs sur mes trois sites internet : le blog, le site poétique, le site politique. Google Analytics indique le nom des villes d’où viennent les « visiteurs » des sites et par une sorte de graphique, de courbe, le nombre de « visiteurs », chaque jour, pendant une période donnée. Je voyais la liste des villes : « Paris », « Reims », « Troyes », (une douzaine de villes pour chaque site) et, en cliquant sur chaque ville, je m’efforçais de comprendre si les « visites » émanant d’une ville demeuraient aussi nombreuses, ou, au contraire, décroissaient. En même temps, j’essayais d’imaginer « qui » pouvaient être ces « visiteurs inconnus, rêvant à leurs motivations, et à ce qu’ils pouvaient trouver dans les textes de mes trois sites ? Les visiteurs qui visitaient l’un des trois sites visitaient-ils, pour autant, les deux autres ? Etaient-ce les mêmes « visiteurs » qui revenaient, jour après jour, ou le relancement de la courbe vers le haut était-il dû à l’arrivée de nouveaux « visiteurs ». ? Comme je remarquais, avec un certain désappointement, que, pour la plupart des villes, depuis quelques jours, il n’y avait plus de « visites », et que la courbe censée figurer le nombre des « visiteurs » avait l’allure d’un électro-encéphalogramme plat.

Soudain, une anecdote, vieille de trente ans, m’est revenue en mémoire : j’avais trente ans, c’était en 1978, ou un peu avant, ou un peu après. J’enseignais les « Lettres Modernes », dans un collège de l’Académie de Besançon. J’étais devenu amoureux d’une enseignante qui enseignait la musique, à cause de sa beauté de brune, à cause de sa voix aux sonorités voisines de celles d’un violoncelle et enfin et surtout à cause d’un geste qu’elle avait accompli et que j’avais trouvé merveilleux : au printemps, elle apporté un bouquet de primevères au collège et l’avait déposé sur une table de la salle des professeurs. J’ai d’ailleurs consacré une suite de poèmes à cette personne, que je nommerai, dans ce texte, O. Je renvoie mon lecteur et ma lectrice bénévole à cette suite de poèmes, sur le site internet de ma poésie. J’avait donné à O . un exemplaire dédicacé de L’Entrée dans le Paysage, publié en 1975, par l’Imprimerie Jacques et Demontrond, à Besançon. Cet ouvrage, publié à compte d’auteur à six cent exemplaires, se présente comme un fascicule aux pages non coupées, et dont on doit couper les pages, comme il était d’usage, autrefois.

Donc, un jour, plusieurs mois après le jour où j’avais remis à O. mon exemplaire dédicacé, O. m’invite chez elle, un soir, où, en compagnie de son mari, elle organise une soirée artistique : des gens se trouvent là, pour jouer du piano, bavarder…Soudain, après le repas qui nous avait été servi, O. qui était la maîtresse de maison, lance à la cantonade : « et si le poète Michel Conrad nous lisait quelques-uns de ses poèmes ? ». Je me lève et je m’empresse de dire à la docte société qui m’entoure que je ne connais aucun de mes poèmes par cœur. Sachant qu’un exemplaire de L’Entrée dans le Paysage se trouvait dans cette maison, je demande qu’on me le confie. O. va le chercher, et me le donne. Quelqu’un se propose pour accompagner ma lecture de quelques notes de musique, improvisées au piano. Je m’approche du pianiste, j’ouvre le recueil et découvre, tout aussitôt, que les pages n’en avaient pas été coupées ! Il eût fallu, alors, demander à la cantonade, à haute et intelligible voix « : « auriez-vous un coupe-papier ? ». Craignant qu’une telle phrase parusse une récrimination, je me contentai de lire quelques textes en entrouvrant, avec difficulté, le livre aux pages vierges de tout regard.

C’est un peu la même histoire que celle de mes poèmes mis en ligne sur « internet », dont quelques visiteurs anonymes ont cliqué et « visité », un certain nombre de fois, un certain nombre de secondes, sur certains « liens » qui menaient à mes poèmes, jusqu’à cesser, soudain, et peut-être définitivement, de cliquer sur ces pages. On imagine toujours que son lecteur, sa lectrice, va vous lire passionnément, y passant la nuit et le jour. Chacun vit sa vie, et il ne faut s’exagérer l’importance de ce que nous sommes, aux yeux d’autrui.

Cependant, je continue d’espérer qu’ici ou là, quelque part, quelqu’un me lise et trouve une beauté à mes écrits. Je n’en veux pour preuve que la page que l’écrivain Bernard Lorraine, qui ne m’avait jamais rencontré, et qui a découvert mes textes, par hasard, je ne sais quand, je ne sais où, m’a consacré dans son « Panorama de la Poésie en Lorraine » (Editions Serpenoise, 1999).

Jeudi 8 Mai 2008. 13H21

Ce matin, discussion, au soleil, dans l’espace verdoyant entre nos deux maisons, avec mes voisins, dans le minuscule village où se trouve ma maison lorraine. Lui est éleveur : son nez, sa lèvre recousues et sa dent en moins, ce matin, m’avaient surpris : il m’explique qu’ « une vache a foncé droit sur lui ». Elle, ingénieur agronome, me dit qu’elle s’est inscrite à un atelier d’écriture, pour apprendre à écrire des « textes ». Comme l’atmosphère de toute notre conversation était à la plaisanterie, j’ ai répondu sur le ton de la plaisanterie, en disant qu’il y a de nombreuses années, je m’étais inscrit, moi aussi, dans un atelier d’écriture. Quelqu’un prétendait nous faire découvrir les trente six mille manières de décrire…une prise électrique. Ils ont ri. Oui : j’aurais simplement dû répéter à le jeune femme ingénieur, cette phrase de je ne sais plus quel poète, à un poète débutant : « trouvez votre cœur et changez-le en encrier. ».


Jeudi 8 Mai 2008. 19H10

Ce qui fait que la prose de Chateaubriand n’a pas vieilli, ce sont des phrases comme celle-ci : « La civilisation est montée au plus haut point, mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut rien produire, car on ne saurait donner la vie que par la morale ; on n’arrive à la création des peuples que par les routes du ciel : les chemins de fer nous conduiront seulement avec plus de rapidité à l’abîme » (Mémoires d’Outre-Tombe, Le Livre de Poche Classique, Tome 3, p. 290, Livre vingt-neuvième, Chapitre 12, réédition 2002).

Bien que Chateaubriand fût monarchiste et Ministre des Affaires étrangères, Ambassadeur de France, sous la Première Restauration, et que je sois, aux antipodes de lui, un anti-monarchiste fervent, ardent défenseur de la République, je rejoins sa pensée à l’occasion de des phrases comme celles-là.

Evidemment, j’en adapte le sens à notre civilisation actuelle : c’est par les valeurs morales que le monde sera sauvé, non par le progrès matériel, cette fuite en avant. Il faut penser davantage au progrès social, et ne laisser personne au bord du chemin.

dimanche 4 mai 2008

Dimanche 4 Mai 2008. 18H36

La plume de l' écrivain est un fleuret d'escrime. Dans ses textes les plus dépouillés, il fait des passes d'armes avec Dieu.

Dimanche 4 Mai 2008. 11H28

J'ai rapporté de Venise trois galets gris, veinés de blanc : des lignes blanches les traversent, comme la foudre traverse le ciel. Je ne peux m'empêcher de regarder ces zébrures blanches, comme on regarde des hiéroglyphes mystérieux, un alphabet pré-tellurique, où serait inscrite, définitivement, la signification de nos vies.

samedi 3 mai 2008

Samedi 3 Mai 2008.10H47

Nageur nocturne, je traverse les nuits avec mon quota d'apnées du sommeil , quota insuffisant pour que la Sécurité Sociale me rembourse la machine à insuffler mécaniquement de l'air dans mes poumons.
Ce matin, en allant acheter du pain, je passe devant une maison en briques (comme il y en a tant, ici), inhabitée depuis longtemps...Seulement, voilà : cette maison est une ancienne boulangerie, et , malgré l'endroit ingrat (une ruelle sans perspective) , si je gagnais subitement une fortune, je l'achèterais, cette maison inhabitée, à cause de deux choses : une sorte de jardin abandonné qui jouxte la maison, que je transformerais en jardin zen, peut-être même avec du gravier seulement, et aussi à cause de ce système à poulie, à l'aplomb, à la verticale au-dessus de la maison, par où on faisait monter les sacs de farine, autrefois.
J'imagine assez bien mon écritoire, là-haut, derrière une fenêtre du grenier, malgré l'absence de perspective, en vis-à-vis. Je sais : cela ne vaut pas Hugo face à la mer , dans les îles anglo-normandes de Jersey , Guernesey, écrivant debout face à la mer déchaînée. Mais ma traversée du désert et mon exil à moi , en vertu d'une mutation, décidée en haut lieu, se déroulent à Romilly-Sur-Seine (Aube), depuis septembre 2005, dans une ville dont l'architecture (ou l'absence d'architecture) me faisait horreur, au début. Pourtant , au fil du temps, on perçoit les vibrations d'un passé lointain. Place des Martyrs, par exemple s'élevait une ancienne église, où reposèrent, quelques semaines, les restes de Voltaire, en partance pour le Panthéon. Je ne raconterai pas ici comment et pourquoi le corps de Voltaire fut inhumé à quelques kilomètres d'ici, à l'abbaye de Sellières. Autre lieu remarquable non loin d'ici : l'abbaye du Paraclet, à Ferreux-Quincey, où séjournèrent Héloïse et Abélard. Pour tout cela, je renvoie mon lecteur, ma lectrice bénévoles aux encyclopédies, peut-être même à cette remarquable encyclopédie en ligne, Wikipédia. Dans la ville elle-même, il y a , rue Gornet Boivin, une maison tout à fait remarquable qui fut un théâtre, dont il ne reste rien, rien que le masque tragique, sur le linteau de la porte d'entrée, masque de pierre qui l'ornait, autrefois.
La maison que j'habite ici date d'avant la Seconde Guerre Mondiale : cheminée de marbre, parquets , hauts plafonds. Quelqu'un m'a dit que l'armée allemande y avait établi ses quartiers, durant la Seconde Guerre Mondiale. Est-ce à la soldatesque allemande que nous devons ces traces carbonisées , sur les parquets ? L'âme des maisons, tout est là. On dit qu'il suffit, aux voyants, des photos des absents pour dire, de ces absents mêmes, le passé, le présent et l'avenir. Mais les villes et leurs maisons ont, je le répète, leurs "vibrations"..Il y a cette page magnifique de Rabelais sur les "paroles gelées" : les cris des guerres anciennes, d'un passé très lointain, qui finissent par retomber sur le protagoniste.
Je prépare la mise en ligne prochaine d'un recueil de poèmes quasiment inédit , qui s'intitule "Fin de Siècle", (il fut "auto-édité" à quelques exemplaires, à Charmes, Vosges, en l'an 2000) et dont le sous-titre sera : "Poèmes retrouvés au fond d'un tiroir..."C'est dire leur absence d'unité thématique, qui me cause quelques scrupules, mais je ne vois pas comment retravailler l'ensemble de ces textes, sauf à y passer beaucoup de temps. Or je mets en ligne toute ma poésie, dans une sorte de sentiment d'urgence dont je ne sais pas moi-même ce qui le justifie. J'ignore si les internautes qui lisent ce "blog" lisent également mon site poétique, et réciproquement, mais cela serait souhaitable, dans la mesure où il y aura une interactivité entre les deux , "blog" et site poétique, car je pense faire de ce "blog" un lieu de réflexion sur les coulisses de la création poétique, ce qui la précède et ce qui la suit.

jeudi 1 mai 2008

Vendredi 2 Mai 2008.7H46

Cela fait quarante-cinq ans que j'écris . Je me souviens : j'avais quinze ans, ma mère m'avait dit "pourquoi tu ne serais pas poète ?". Je pris une feuille et je commençai par placer les rimes, au bout des lignes de ces premiers alexandrins, dont je comptais les syllabes sur les doigts. La lecture des poètes m'apporta beaucoup. Un jour, au lycée Henri Poincaré de Nancy, Meurthe-et-Moselle, (je devais être en Seconde), le professeur nous dit : "je suis sûr que vous allez utiliser votre argent de poche pour aller au cinéma ou acheter des cigarettes, aucun d'entre vous n'aurait l'idée de sortir d'ici pour aller s'acheter "Les Fleurs du Mal" de Baudelaire. C'est ce jour-là que j'ai acheté mon premier exemplaire des "Fleurs du Mal". Mais le livre que me fit le plus d'impression , ce fut les "Poèmes" d'Apollinaire, dans le Livre de Poche. Il y eut aussi les "Derniers Poèmes d'amour" de Paul Eluard : celui-là, mon père le jeta, un jour, dans le fourneau à charbon, parce que je n'avais pas révisé ma composition d'histoire et géographie. Le fourneau rougeoyant et le livre ne s'effaceront jamais de ma mémoire.
Cela fait quarante-cinq ans que j'écris ! Il n'y a pas de "retraite" en vue pour moi : comme les grands acteurs meurent sur scène, les écrivains authentiques meurent la plume à la main. (D'ailleurs, la page blanche est une "scène" , où l'on met son coeur en jeu).
Je n'ai pu m'empêcher de sursauter de surprise , le jour où j'ai appris que le Général de Gaulle était mort, à la Boisserie, à Colombey-les-deux-Eglises, en faisant une "réussite", un jeu de cartes à la main, sur une table de bridge. Un homme qui maniait le verbe si admirablement, on l'aurait imaginé mourir en répétant ce qu'il avait magnifiquement dit, un jour, lors d'une conférence de presse : "après mon départ, ce n'est pas le vide qui est à craindre, c'est le trop-plein". Il est vrai qu'on ne choisit ni le jour, ni l'heure...

Jeudi 1° Mai 2008.. 21H54

Autant l'avouer à mon lecteur , à ma lectrice "bénévoles" : mon livre de chevet, depuis des mois, des années , s'intitule "Mémoires d'Outre-Tombe". L'auteur en est le vicomte François-René de Chateaubriand. Pourquoi ne fais-je plus que lire et relire ces trois mille pages ? Il faudrait peut-être trois mille autres pages pour l'expliquer. Peut-être à cause de phrases comme celle-là : "mais enfin rien ne me plaît plus que l'idée de disparaître entièrement de la scène du monde : il est bon de se faire précéder dans la tombe du silence que l'on y trouvera" (Mémoires d'Outre-Tombe, Livre vingt-neuvième, Chapitre 10, Le Livre de Poche Classique, volume 3, p. 285, 2002)

Jeudi 1° Mai 2008. 10H12.

Journée de soleil et de ciel bleu sur Romilly-Sur-Seine. Hier : Provins, sous la pluie. Cette ville, classée au patrimoine de l'UNESCO, respire une Histoire très ancienne. Jeanne d'Arc passa par son église majeure, que l'on voit de loin. Je suis sensible à l'histoire de Jeanne, pour avoir été souvent à Domremy : là bas aussi, on sent cette présence de Jeanne.
Il y a une fonction dans Google, dont je me sers, qui s'appelle "Google Analytics", qui permet de savoir de quelle région de France (ou du monde), viennent les internautes qui fréquentent les sites internet que vous avez crées. Ne recevant jamais aucun message des internautes qui lisent pourtant --fût-ce très brièvement-- mes textes (là encore Google Analytics révèle le temps moyen passé sur mes pages) , je me prends à rêver à ce que sont, réellement, mes lecteurs anonymes.
Et puis, songeant à l'extraordinaire surprise que fut pour moi, grâce à Google Books, la découverte de l'existence d'un de mes recueils de poèmes (Le Soir dans les Jardins, 1976) à la Library of Congress de Washington , je me prends à rêver à d'autres surprises extraordinaires que la poésie, ma poésie me réserva : il y eut cette page, écrite par Bernard Lorraine dans Panorama de la Poésie en Lorraine ( Editions Serpenoise, 1999), mais bien avant , au temps où j'habitais Besançon, vers 1975, et au temps où je mettais en vente dans les librairies de Besançon mes plaquettes de poèmes, que personne n'achetait (j'en vins à donner de l'argent à un ami pour en acheter quelques exemplaires) , à cette époque, disais-je, m'arriva une lettre d'une librairie parisienne "internationale" dont j'ai oublié le nom , qui me priait de lui envoyer un exemplaire d'un de mes recueils de poèmes avec la facture , pour l'un de ses clients. J'ai cru que c'était une plaisanterie bienveillante de mon amie Eve Malleret --Dieu ait son âme--, qui habitait Paris et qui enseignait le russe à la Faculté des Lettres de Besançon. Eve a été et demeure la meilleure traductrice, en France, de l'oeuvre de la poétesse russe Marina Tsvétaïeva. Finalement, en rêvant à je ne sais quel lecteur anonyme japonais , faisant une thèse sur la poésie française, j'envoyai la plaquette, dûment accompagnée d'une facture (je crois qu'il s'agissait du Soir dans les Jardins, à nouveau) Finalement, cette anecdote , bien avant Internet , montre que les livres trouvent le chemin du coeur de leurs lecteurs, quoi qu'il arrive.
De la même façon, dans les années 1980, comme j'habitais la banlieue de Nancy (Meurthe-et-Moselle), je reçus une lettre d'une admiratrice inconnue qui avait découvert mes livres à la Bibliothèque Municipale de Jarny (Meurthe et Moselle) et qui m'invitait à participer à une émission d'une radio locale , pour une émission consacrée à mon oeuvre poétique et qu'elle voulait intituler "Michel Conrad, Sol, Soleil, Solitude." Je ne me suis jamais rendu à cette invitation et je n'ai jamais rencontré cette admiratrice, ce que je regrette aujourd'hui. La seule émission radio à laquelle j'ai participé , c'était une interview de la journaliste Marie-Claire Munka consacrée à mon premier recueil "L'Entrée dans le Paysage". Cette interview devrait se trouver dans les archives sonores de la radio de FR3 Franche -Comté.
Il y a une fonction dans Yahoo qui me fascine , c'est un système de traduction automatique : Babel Fish . Voir mes poèmes en anglais m'a fait quelque chose. Il y a une douceur et une musicalité de la langue anglaise, même si "A river of light" ne saurait avoir, ni la même signification, ni la même sonorité qu'"Un Fleuve de Lumière". Mais , malgré tout , il reste quelque chose, malgré l'inévitable "distorsion" de toute traduction, et un lecteur anglophone devrait encore retrouver quelque chose de la magie de ces moments.
Eve Malleret , dont la traduction de l'oeuvre de Tsvétaïeva était l'activité essentielle, m'a fait réfléchir aux problèmes que pose la traduction : traduire quelques mots d'un poème russe en français lui coûtait des heures d'un travail passionnant, pour lequel elle me fit , quelquefois, l'extrême amitié de me demander conseil.