Dans le jardin de ma maison, en Lorraine. Arrivé, hier, vers vingt-et-une heure, après avoir rendu visite à ma mère, de dix-neuf heures à vingt heures. Ma maison, en Lorraine, a traversé l’hiver sans que j’y vienne. J’ai dû la faire revivre, hier soir, rouvrir l’eau, aérer, balayer des insectes morts, sur le sol, je ne sais d’où venus. Ce matin, « à la fraîche », comme disent les paysans, je me suis frayé un chemin, à grands coups de faux, jusqu’au massif de lavande, que les mauvaises herbes, très hautes, étreignaient. Les tulipes, près du vieux puits, sont exténuées, à l’agonie et chacun de leurs pétales semble ne tenir plus qu’à un fil : elles ont connu leur heure d’apothéose, leur heure de gloire, alors que j’étais à deux cent cinquante kilomètres de là . Misère ! Seuls les mots du poète eussent pu leur faire un « Tombeau » digne d’elles !
Tandis que la cloche de l’église, qui jouxte ma maison, sonne dix heures, je songe à la date d’aujourd’hui : une image résume, pour moi, la capitulation de l’Allemagne nazie, celle de ce soldat russe plantant le drapeau rouge sur le Reichstag. Ce qu’il a fallu de courage, pour venir à bout de l’hydre !
Hier matin, vers six heures du matin, je consultais sur « internet » le site Google Analytics , pour avoir des éléments d’information sur le nombre de visiteurs sur mes trois sites internet : le blog, le site poétique, le site politique. Google Analytics indique le nom des villes d’où viennent les « visiteurs » des sites et par une sorte de graphique, de courbe, le nombre de « visiteurs », chaque jour, pendant une période donnée. Je voyais la liste des villes : « Paris », « Reims », « Troyes », (une douzaine de villes pour chaque site) et, en cliquant sur chaque ville, je m’efforçais de comprendre si les « visites » émanant d’une ville demeuraient aussi nombreuses, ou, au contraire, décroissaient. En même temps, j’essayais d’imaginer « qui » pouvaient être ces « visiteurs inconnus, rêvant à leurs motivations, et à ce qu’ils pouvaient trouver dans les textes de mes trois sites ? Les visiteurs qui visitaient l’un des trois sites visitaient-ils, pour autant, les deux autres ? Etaient-ce les mêmes « visiteurs » qui revenaient, jour après jour, ou le relancement de la courbe vers le haut était-il dû à l’arrivée de nouveaux « visiteurs ». ? Comme je remarquais, avec un certain désappointement, que, pour la plupart des villes, depuis quelques jours, il n’y avait plus de « visites », et que la courbe censée figurer le nombre des « visiteurs » avait l’allure d’un électro-encéphalogramme plat.
Soudain, une anecdote, vieille de trente ans, m’est revenue en mémoire : j’avais trente ans, c’était en 1978, ou un peu avant, ou un peu après. J’enseignais les « Lettres Modernes », dans un collège de l’Académie de Besançon. J’étais devenu amoureux d’une enseignante qui enseignait la musique, à cause de sa beauté de brune, à cause de sa voix aux sonorités voisines de celles d’un violoncelle et enfin et surtout à cause d’un geste qu’elle avait accompli et que j’avais trouvé merveilleux : au printemps, elle apporté un bouquet de primevères au collège et l’avait déposé sur une table de la salle des professeurs. J’ai d’ailleurs consacré une suite de poèmes à cette personne, que je nommerai, dans ce texte, O. Je renvoie mon lecteur et ma lectrice bénévole à cette suite de poèmes, sur le site internet de ma poésie. J’avait donné à O . un exemplaire dédicacé de L’Entrée dans le Paysage, publié en 1975, par l’Imprimerie Jacques et Demontrond, à Besançon. Cet ouvrage, publié à compte d’auteur à six cent exemplaires, se présente comme un fascicule aux pages non coupées, et dont on doit couper les pages, comme il était d’usage, autrefois.
Donc, un jour, plusieurs mois après le jour où j’avais remis à O. mon exemplaire dédicacé, O. m’invite chez elle, un soir, où, en compagnie de son mari, elle organise une soirée artistique : des gens se trouvent là, pour jouer du piano, bavarder…Soudain, après le repas qui nous avait été servi, O. qui était la maîtresse de maison, lance à la cantonade : « et si le poète Michel Conrad nous lisait quelques-uns de ses poèmes ? ». Je me lève et je m’empresse de dire à la docte société qui m’entoure que je ne connais aucun de mes poèmes par cœur. Sachant qu’un exemplaire de L’Entrée dans le Paysage se trouvait dans cette maison, je demande qu’on me le confie. O. va le chercher, et me le donne. Quelqu’un se propose pour accompagner ma lecture de quelques notes de musique, improvisées au piano. Je m’approche du pianiste, j’ouvre le recueil et découvre, tout aussitôt, que les pages n’en avaient pas été coupées ! Il eût fallu, alors, demander à la cantonade, à haute et intelligible voix « : « auriez-vous un coupe-papier ? ». Craignant qu’une telle phrase parusse une récrimination, je me contentai de lire quelques textes en entrouvrant, avec difficulté, le livre aux pages vierges de tout regard.
C’est un peu la même histoire que celle de mes poèmes mis en ligne sur « internet », dont quelques visiteurs anonymes ont cliqué et « visité », un certain nombre de fois, un certain nombre de secondes, sur certains « liens » qui menaient à mes poèmes, jusqu’à cesser, soudain, et peut-être définitivement, de cliquer sur ces pages. On imagine toujours que son lecteur, sa lectrice, va vous lire passionnément, y passant la nuit et le jour. Chacun vit sa vie, et il ne faut s’exagérer l’importance de ce que nous sommes, aux yeux d’autrui.
Cependant, je continue d’espérer qu’ici ou là, quelque part, quelqu’un me lise et trouve une beauté à mes écrits. Je n’en veux pour preuve que la page que l’écrivain Bernard Lorraine, qui ne m’avait jamais rencontré, et qui a découvert mes textes, par hasard, je ne sais quand, je ne sais où, m’a consacré dans son « Panorama de la Poésie en Lorraine » (Editions Serpenoise, 1999).
Jeudi 8 Mai 2008. 13H21
Ce matin, discussion, au soleil, dans l’espace verdoyant entre nos deux maisons, avec mes voisins, dans le minuscule village où se trouve ma maison lorraine. Lui est éleveur : son nez, sa lèvre recousues et sa dent en moins, ce matin, m’avaient surpris : il m’explique qu’ « une vache a foncé droit sur lui ». Elle, ingénieur agronome, me dit qu’elle s’est inscrite à un atelier d’écriture, pour apprendre à écrire des « textes ». Comme l’atmosphère de toute notre conversation était à la plaisanterie, j’ ai répondu sur le ton de la plaisanterie, en disant qu’il y a de nombreuses années, je m’étais inscrit, moi aussi, dans un atelier d’écriture. Quelqu’un prétendait nous faire découvrir les trente six mille manières de décrire…une prise électrique. Ils ont ri. Oui : j’aurais simplement dû répéter à le jeune femme ingénieur, cette phrase de je ne sais plus quel poète, à un poète débutant : « trouvez votre cœur et changez-le en encrier. ».
Jeudi 8 Mai 2008. 19H10
Ce qui fait que la prose de Chateaubriand n’a pas vieilli, ce sont des phrases comme celle-ci : « La civilisation est montée au plus haut point, mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut rien produire, car on ne saurait donner la vie que par la morale ; on n’arrive à la création des peuples que par les routes du ciel : les chemins de fer nous conduiront seulement avec plus de rapidité à l’abîme » (Mémoires d’Outre-Tombe, Le Livre de Poche Classique, Tome 3, p. 290, Livre vingt-neuvième, Chapitre 12, réédition 2002).
Bien que Chateaubriand fût monarchiste et Ministre des Affaires étrangères, Ambassadeur de France, sous la Première Restauration, et que je sois, aux antipodes de lui, un anti-monarchiste fervent, ardent défenseur de la République, je rejoins sa pensée à l’occasion de des phrases comme celles-là.
Evidemment, j’en adapte le sens à notre civilisation actuelle : c’est par les valeurs morales que le monde sera sauvé, non par le progrès matériel, cette fuite en avant. Il faut penser davantage au progrès social, et ne laisser personne au bord du chemin.
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